Dix huit contes, des histoires à vrai dire de pas grande taille, ou disons de quelque taille, pour que ça aille vite, et dont il n’est pas facile de dire grand chose, de peur de dire en trop. N’ayez pas peur de mon français, ça arrive !
Aucune de ces histoires n’a de titre ; une introduction, pour chaque texte, dit pourquoi. Elle dit aussi l’essentiel possible. Un autre essentiel était toutefois possible mais ça ira comme ça. L’introduction est petite, il fallait donc aller vite ; pour ne faire attendre personne.
Un conte, comme ça, sans faire exprès, mais pas non plus complètement par hasard, il fallait bien trouver une excuse pour vous écrire un petit mot, un tout petit mot. Le nom du conte est déjà à l’intérieur, alors ce n’était pas nécessaire de le répéter ici !
Sur un pont de bois, aussi long qu’une vache d’Espagne, de celles qui ont quatre pattes, deux filles marchaient, dans le même sens pour bien écouter quand elles se parlaient et aussi grandes l’une que l’autre, pour que la voix de l’une soit à la hauteur des oreilles de l’autre, et de façon réciproque. Cela évitait que la jalousie s’immisce entre les deux, petit à petit pour ne pas les surprendre en arrivant d’un coup. La jalousie sait s’installer. Elle s’installe.
Elles marchaient toujours la tête bien haute, probablement pour voir le plus loin possible mais elles n’étaient pas très grandes. Oh ! elles n’étaient pas si petites que ça non plus, elles avaient une taille raisonnable ; un peu plus d’un mètre à vue d’œil et leurs oreilles étaient par chance bien alignées. Leurs yeux l’étaient beaucoup moins mais elles n’en étaient pas complètement responsables, et peut-être même pas du tout. La nature ne fait pas toujours les choses tout à fait correctement et en l’occurrence elle s’était un peu trompée. L’une avait un regard souvent de travers, et l’autre ayant la tête haute, comme la première, avait le regard qui allait un peu vers le bas, de sorte que face à face elles ne pouvaient jamais vraiment se regarder. Heureusement leur vue n’était pas trop mauvaise, elles pouvaient quand même se regarder dans un miroir et voir qu’elles n’étaient pas trop moches, et elles n’étaient pas moches du tout et même disons convenables. Elles se regardaient chaque matin pour vérifier que tout allait bien sur leur visage et sur leur visage tout allait bien. Cela convenait et elles s’en réjouissaient tous les jours.
Du côté du nez tout se passait bien. Il était superbement placé entre les deux yeux, bien au-dessus de la bouche et n’avançait pas de façon exagérée ; quelques centimètres seulement. Heureusement le bout du nez ne tombait pas trop vers l’avant comme cela arrive chez certaines sorcières, mais elles sont sorcières et les deux filles ne l’étaient pas en apparence. Au-delà d’une apparence il est difficile de voir et les sorcières ont en plus, dans le pire des cas une verrue mal placée et tout à fait visible de loin de préférence.
Les deux filles étaient deux sœurs, souvent jumelles avec grand plaisir et ce point commun les émerveillait. Elles pensaient même en avoir beaucoup de mérite. Elles étaient sœurs par leur mère, et peut-être par le père aussi mais leur père n’était pas leur vrai père, leur mère avait remplacé leur père par un autre, probablement plus sympathique ou moins antipathique selon les cas et elles avaient alors une sœur, demi-sœur comme on dit quand la moitié des parents n’est pas le vrai. Le faux parent n’est alors pas toujours bien vu par les enfants du vrai, comme ici par exemple et l’enfant doit en subir les conséquences, ou parfois les inconséquences.
La demi-sœur était plutôt belle, le nez complètement merveilleux et les seins proportionnels à ses jambes, et devait toujours obéir à ses deux demi-sœurs, qui malheureusement à elles deux ne faisaient pas une seule sœur entière, mais bien deux demies. Elle avait la taille d’une belle femme, l’élégance d’une belle femme aussi, la même peut-être, et le regard doux et plein d’intelligence, ce qui chagrinait bien ses demi-sœurs, qui pensaient que son intelligence logeait dans ses yeux et qu’il suffisait qu’elle n’ait plus d’yeux pour n’avoir plus d’intelligence. Il aurait pour cela fallu qu’elles l’empêchent de regarder, peut-être lui crever les yeux, mais elles aimaient trop être regardées par leur demi-sœur qui devait les aider à s’habiller toutes les fois et nombreuses fois qu’elles allaient au bal pour rencontrer un prince. Un prince se rencontre à un bal souvent. Elles préféraient tenter leurs chances. Elles avaient plusieurs chances bien sûr. Cela ne leur coûtait pas un sou et leur donnait l’occasion d’être en société. Oh ! bien sûr elles ne permettaient pas à leur demi-sœur d’aller au bal. Elle n’avait pas de beaux habits et ses demi-sœurs ne voulaient pas qu’elle se ridiculise. Elles étaient gentilles avec elle, et puis comme toutes les deux avaient les mêmes robes, elles n’imaginaient pas qu’une de ces robes puisse sortir sans sa jumelle. Elles n’imaginaient pas beaucoup et ne trouvaient pas très très très sympathique pour les robes d’être dépareillées. Des choses ne se dépareillent pas.
Leur demi-sœur s’appelait Cendrillon, tout simplement et sans caprice, car elle avait l’habit toujours couleur de cendre et cela ravissait tout le monde, plutôt que s’appeler Cucendron comme cela arrive. C’est arrivé en 1697. Ses demi-sœurs ne s’appelaient pas et personne ne les appelait non plus, sauf leur mère qui savait y faire avec elles. Elle appelait l’une ma chérie et l’autre ma chérie. Les deux se reconnaissaient immédiatement car elles étaient rapides pour cela et quand elles allaient au bal elles ne s’éloignaient jamais l’une de l’autre pour ne pas se confondre elles-mêmes. Elles y allaient souvent et aussi souvent tentaient leurs chances pour séduire le prince, avec un espoir toujours à peu près identique et très long. Un espoir après tout n’est jamais facile à mesurer.
Cendrillon, de son côté, allait également au bal, mais pas comme ça, plutôt comme ça, princessement, avec une robe apparue d’un coup tout seul grâce à sa marraine qui pouvait tout déguiser en un claquement de doigt de fée comme on dit, et qui claquait des doigts les souris aussi, pour avoir des chevaux c’est tellement plus costaud, quand il faut transporter une princesse. Un rat claqué du doigt de fée y allait aussi en cocher, tous sur la citrouille qui jouait la belle en carrosse, c’était beau. Une belle princesse n’arrive pas en marchant au bal. Mais on dit qu’elle en est partie en courant, et en aurait perdu une pantoufle. Ma foi que voulez-vous !
Un texte, long comme un récit, avec des choses qui auront le temps d’arriver, mais qu’il faudra prendre le temps de lire hein ! et ne pas se dépêcher en lisant trois mots d’un coup comme l’on monterait trois marches d’un coup dans les escaliers. Le titre n’est pas dit, c’est mieux. Si jamais les gens connaissent l’histoire, ils n’auront plus de surprise et pourraient tout précipiter dans leur tête. Il fallait éviter cela ; la tête peut être fragile. Des gens s’en servent.
Sur un pont de bois, aussi long qu’une vache d’Israël, de celles qui ont quatre pattes, un petit garçon marchait, comme ça, tout à fait innocemment et pour ne pas encombrer le pont. Un petit pont de bois tendre, qu’attendrissaient davantage les pas doux. Des pas de toutes tailles et belle allure, qui allaient dans des sens amicaux et sans jamais perdre patience. Des pas de longueur diverse et tranquille — dix centimètres, quinze centimètres, un mètre, plein de centimètres, deux fois vingt etc. Ils sont eux-mêmes au courant. Le petit pont était alors bien rythmé comme l’était le chemin d’avant et puis un peu aussi le chemin d’après à vrai dire autant. Parfois des chants d’oiseaux se mélangeaient aux rythmes des pieds pour faire entendre une chanson pastorale, par hasard une symphonie de Beethoven, qui aimait composer une symphonie pastorale. Les pas du petit garçon s’y mélangeaient aussi et quand des regards se croisaient une petite clochette clochetait. Ce n’était bien sûr pas la fée Clochette, qui était probablement un peu endormie dans un livre et attendait qu’il soit lu pour s’en libérer ou se réveiller, mais c’étaient de petits sons scintillants que provoquait le croisement des regards. Des gens passaient sur le pont. Des regards valaient mieux d’être croisés, comme ça, pour changer un peu, avant d’aller à la fontaine pourquoi pas, qui n’est pas trop loin de l’autre côté du pont. Une fontaine est souvent d’un côté d’un pont, ou très loin même au pied d’une montagne. Et une montagne peut être très loin de l’autre côté d’une frontière. Tout est quelquefois d’un autre côté. Il faut aller de l’autre côté aussi.
Le petit garçon ralentissait toujours avant de traverser le pont, pour écouter l’eau couler le plus longtemps possible, et s’il avait le temps il s’arrêtait. Le pont s’encombrait vite de gens. Des gens encombrent parfois mais le pont aimait la tendresse des pas doux. Heureusement tous les regards ne s’entassaient pas sur le pont mais débordaient de chaque quatre côtés, vers le haut le bas un peu partout. Les poissons étaient fiers d’avoir des regards sur eux. Ils gonflaient les bronches. C’est d’ailleurs le seul moment où l’on voyait les poissons gonfler leurs bronches, quand on les regardait. Il faut toujours regarder un peu pour voir. Quand il y avait trop de gens sur le pont, certains perdaient leur direction, oubliée dans tous ces regards, ou confondaient les pieds, qui se trompaient alors de jambes.
Le pont était tout à fait régulier, il allait d’une rive du ruisseau et revenait d’une autre rive. Les ruisseaux étaient le même et le pont s’en réjouissait. Il n’était pas très grand et avait de jolis murets pour empêcher le vent d’encombrer la chaussée. Le vent était plein des paroles qu’il croisait en croisant des gens. Le pont ne pouvait pas s’encombrer de toutes ces paroles. Il y a toujours des gens pleins de paroles qui se laissent croiser, sur un pont, ou sur pas un pont ; et même ça déborde et ça dégouline. Ce n’est pas très beau et c’est après dégoûtant, tous ces mots qui tombent de la bouche de certains gens, et certaines gens ; pas toujours heureusement mais il y a des cas particuliers de conversations ou de monologues.
Le petit garçon était lui plein d’esprit. Ses mots s’arrangeaient toujours pour être bien courtois et convenaient tout à fait à ses propos. Des propos réguliers, dits très très fin et sans jamais aucune précipitation. Des mots précipités pourraient se plier, ou choquer l’un contre l’autre ou se chevaucher. Des phrases n’auraient alors plus de sens, des mots n’auraient plus d’esprits ou des propos seraient grossiers. Des mots, en avançant trop vite et en se chevauchant, feraient entendre d’autres mots, comme ça ; garçon + concombre = con. Des mots sont grossiers. Une précipitation n’est jamais salutaire. Les mots ont souvent besoin de plus de temps.
Heureusement le garçon n’était pas grossier et ses mots remplissaient bien ses propos. Ses propos avaient de l’allure, ils pouvaient tout dire et le disaient si bien que tout le monde applaudissait à la fin de chaque phrase. Alors quand il parlait il mettait plus de virgules que de points, pour ne pas trop être interrompu et pouvoir raconter ses histoires entières, qu’il disait toujours entièrement.
Le petit garçon avait une houppe de cheveux sur la tête et s’appelait justement Riquet-à-la-houppe-de-cheveux-sur-la-tête ; ça tombait bien. Il était amoureux et n’était pas très beau. Des gens amoureux ne sont pas forcément beaux. Il faut leur pardonner, et être indulgent avec la beauté. Il aimait une femme qui ne l’aimait pas encore mais ils ne s’étaient pas encore non plus rencontrés. L’amour peut être en avance… Cette très belle femme, qui vivait probablement de l’autre côté du pont était vraiment très bête. C’était une coïncidence, car des femmes bêtes sont parfois moches. À une question elle répondait à une autre et après plusieurs fois la même explication elle en comprenait une autre quand elle comprenait quelque chose. Quand elle buvait autant, l’eau partait à côté et pour ranger trois assiettes elle les comptait quatre fois pour être sûre qu’il n’y en ait pas cinq.
C’était donc mieux qu’elle aime un homme qui lui corresponde, ou qu’elle finisse par correspondre à un homme qui l’aime. Des choses sont possibles et d’autres sont préférables. Elle vivait de l’autre côté du pont et vivait là par hasard. Une fée avait prévenu Riquet qu’étant moche il rendrait intelligente une femme à condition qu’il en soit amoureux. Et, pour l’équilibre et ne pas faire de jaloux, une autre fée, qui se promenait plutôt de l’autre côté du pont avait prédit et dit à Riquet qu’une belle femme, mais peut-être et sûrement un peu bête, rendrait beau celui qu’elle aimerait. Il valait donc mieux qu’ils se rencontrent. Ils se sont rencontrés. Les fées ne s’étaient pas trompées. Et Riquet était bien devenu donc beau, et elle intelligente. Ça leur suffisait. Les autres ils pouvaient bien attendre leur tour.
bonjour !
bonjour !
ça va ?
oui
vous êtes Riquet ?
oui
oh ! je suis intelligente
oui
et vous êtes beau !
ha bon ! vous êtes sûre ?
Un conte, qui est arrivé après bien d’autres, et comme bien d’autres n’a pas de titre. Il a sûrement voulu faire comme eux. Des gens font comme eux, et comme aussi d’autres si eux ne veulent pas se laisser copier. C’est comme ils veulent même si c’est comme eux.
Au milieu d’un champ carré, de ceux qui ont quatre angles égaux de taille moyenne, marchait une petite demoiselle, pas bien tout à fait au milieu en vrai, car en marchant elle se déplaçait et se déplaçant elle pouvait bien être une fois au milieu une fois pas une fois au milieu une fois pas, comme il y avait toute la place du monde comme on dit. Oh toute la place du monde c’est pas ça pour de vrai, car il n’y a jamais toute la place du monde, et qu’en plus quand on parle du monde on parle des fois de la planète totale, et d’autres fois des gens, alors il faudrait savoir à la fin. Bien sûr si elle voulait marcher au milieu du champ elle pouvait dessiner la ligne du milieu du champ avec sa main qu’elle avait en deux exemplaires c’est assez ; une gauche une droite pour éviter d’avoir la même à gauche qu’à droite. Des gens ne croient pas que l’on puisse avoir deux mains gauches. Deux mains droites non plus probablement. Cela supposerait peut-être tout ce qui serait à droite en double ; deux oreilles droites, deux épaules droites, deux pieds droits, deux seins droits, et ce serait le plus incommode en vrai, car il faudrait pour cela qu’elle rencontre un homme avec deux mains gauches, ce qui n’est pas plus courant, ou fréquent, ou ordinaire, ou saint, si vous me passez le jeu de mots, ou même moral après tout. Serait-ce immoral d’avoir deux seins droits je ne sais pas, mais ce serait quelque chose hein !
Elle était princesse au cas où personne ne le savait et ça lui disait bien de continuer au cas où les gens le sauront. Des choses ça nous dit parfois.
Pas très loin il y avait un jeune homme. Trois haricots et deux petits pois les séparaient et c’est une façon de dire et comme il était jeune homme il était prince c’est logique. S’il avait été vieux il aurait été roi car à quoi ça sert à rien d’être prince quand on est vieux ; les princesses n’aiment pas trop les vieux on dit. Un prince après tout peut être charmant, mais pas un roi. Avez-vous déjà entendu parlé d’un roi charmant ? non ! c’est bien que ça n’existe pas si l’on n’en parle pas. Et puis surtout il fallait qu’il soit prince pour l’équilibre avec la petite demoiselle qui disait être princesse avec une couronne c’était beau. Des demoiselles disent qu’elles sont princesses avec une couronne pour faire croire à un prince qui veut épouser. Elles ne font ainsi pas croire qu’elles sont de simples personnes, quand même hein !
Le prince avait une mère et la princesse avait un père sûrement mais il comptait pour du beurre ici, il y avait bien sûr des vaches pour le beurre au cas où et la mère était contente que le fils son prince ait rencontré une princesse qui ne disait pas le contraire. On dit aussi rencontrer chaussure à son pied mais c’est plutôt quand un prince rencontre Cendrillon que l’on dit ça. On le dira.
Comme trois haricots et deux petits pois les séparaient il fallait au moins rapprocher le prince et la princesse et retirer les trois haricots et deux petits pois ou faire quelque chose car ainsi rapprochés après ils auraient tout le loisir de montrer l’un à l’autre leurs attributs princiers une fois tout nus pour toute. Ça doit se voir mieux qu’ils sont de sang royal ou princier quand le corps était à l’air complètement, à l’air ambiant de préférence.
La mère la reine du prince son fils avait toujours des idées peu communes pour voir si une princesse était princesse. Elle mélangeait parfois un petit pois tout seul dans des lentilles qui veloutaient pour vérifier si la princesse remarquerait sans se faire avoir. Des lentilles veloutent. Un petit pois seul y serait sûrement vilain petit. D’autres fois elle mettait un petit pois au milieu du chemin pour voir si la princesse sentirait en marchant qu’elle a marché en plein dans le mille du petit pois et non sur un pois cassé même vert. Une princesse doit savoir faire tout ça pour déjouer les intentions d’une belle-mère et plus encore.
Sept textes, des histoires pour suivre les autres déjà dites dans un premier livre. Il s’appelle Conte(s) et c’était déjà pas mal. Ce livre n'est plus et tous ces contes sont ici, présents dans la chose d'avant, la première chose.
Ces sept textes sont à vrai dire de taille un peu plus que les contes, pour avoir une place élargie et en dire un peu davantage. Ça ira moins vite alors mais il faut prendre son temps quand un livre est dans le coin.
De ces textes il n’est là pas facile aussi comme pour les contes de dire grand chose, de peur de dire en trop. N’ayez pas peur encore une fois de mon français, ça arrive !
Là aussi ces histoires n’ont pas de titre. À quoi bon, une fois lu le titre on sait déjà tout, ou alors on n’y pense même plus.
Au petit bord d’une piscine, assez longue où l’on pouvait chanter et du bord d’un mouton, sur ses quatre pattes à manger des brins d’herbe, un jeune homme pensait, une main à l’oreille et l’autre à côté, assis entre les fleurs montantes et les rayons descendants du soleil, qui tenait bien droit dans le ciel et la pluie ne tombait pas, les nuages étaient plutôt au fond et près de la piscine il y avait un autre jeune homme, plus petit que le premier et avec un sourire bien portant, qui bien sûr ne souriait pas comme ça à tout vent et qui était plus ou moins malin aussi et peut-être un peu plus épais. Le premier était un peu trop fin mais suffisamment pas si fin pour tenir sur un cheval quand il fallait tenir sur un cheval. Il faut des fois et des choses comme ça arrivent. Des choses comme le vent peuvent déséquilibrer quand l’on est tout en haut d’un cheval ou d’une monture quelconque, et quelle que soit la monture, elles ont toutes plus ou moins la même apparence, de l’âne au chameau, en passant par l’éléphant. Deux pattes à gauche et deux à droite ; deux pattes avant et deux arrière. Ça fait huit pattes en tout et l’on se demande bien où il met tout ça.
Il est bien sûr toujours possible d’éviter le vent quand l’on monte un cheval si l’on monte quand le vent est peu fort. Le vent est ici souvent peu fort et le corps se maintient proprement sur le dos du cheval, pour toute l’épaisseur de monsieur, ou de madame, ou de mademoiselle, ou de mondemoiseau. Ici c’est un monsieur. Il faut veiller au vent, comme au grain.
Le deuxième jeune homme, durant ce soir d’Épiphanie, ou Mardi gras peut-être mais c’était l’hiver, était à côté à peu près là et deux moutons le regardaient, les yeux presque doux ils sont tendres, mais pas complètement trop pour éviter tout malentendu et, pas très loin, il n’y avait plus personne ; quelques maisons, un grand pont, un arbre ou deux puis des nuages de temps en temps. Il n’y avait ici pas besoin qu’il n’y ait grand monde. Eux deux suffisaient à se raconter des choses ; des histoires ; des petits contes, avec une sorcière parfois ; ou des légendes, avec une sorcière parfois, ou encore des croyances, toujours avec une sorcière.
Et puis il faut reconnaître bien sûr que si l’un avait été seul, il n’aurait rien pu dire à l’autre. Et l’autre seul n’aurait rien pu écouter de l’un. Ensemble ils pouvaient ainsi aller leur chemin. Un chemin semé d’embûches. À cette époque, surtout entre deux villages, quand il y avait une forêt, entre deux villages, des gens faisaient des choses comme ça, ils semaient des embûches. Les embûches ne poussent pas toutes seules. Elles ne sont pas assez malignes. Il y faut un soin particulier. Des gens les semaient précisément pour faire un usage de leurs qualités particulières. Des gens sont précis et particuliers. Ça permet à d’autres de trouver des solutions, ou des remèdes.
Tout autour d’eux, car bien sûr il y avait un autour, le soleil ne se faisait pas trop remarquer et de temps en temps, comme ça, mais de petits temps tout à fait honnêtes, un morceau de vent passait, près de chacun d’eux pour ne pas faire de jaloux et dans le vent se mélangeait le chant des oiseaux qui en profitait pour ne pas trop se fatiguer. Avec le vent le chant pouvait facilement contourner les obstacles. C’était plus commode, plus inhabituel et plus salutaire aussi peut-être. Des choses sont.
Le plus petit, et un peu plus glouton aussi, mais normalement, et le plus grand, avec une parfois triste figure, étaient là depuis tout le jour, qui avait été long et avait au moins commencé hier matin après le petit déjeuner, qui n’était qu’une distraction obligatoire pour le plus grand des deux. Il avait une idée assez haute des choses auxquelles un homme devait s’occuper et le petit déjeuner était pour lui bien bas dans l’ordre des choses, le déjeuner aussi bien sûr et le dîner avec et de toute façon ils allaient tous s’achever plutôt très bas dans la succession des entrailles. Gargantua, un homme de la même époque, pensait tout à fait le contraire dans un ouvrage bien connu et qui porte son nom ; Gargantua. Il pensait beaucoup de choses encore mais surtout que le repas était une chose de grande importance, d’où le nom du livre comme le sien. Des ouvrages portent des noms de gens connus, pour faciliter la vente. Bien sûr Gargantua ne pense pas dans l’ouvrage et cela ne change rien à la vente. Gargantua pense et dans l’ouvrage on raconte ce qu’il pense. Mais revenons à nos jeunes hommes !
Le plus grand des deux était aussi le plus vieux mais par hasard, et trouvait inutile cette obligation de devoir manger, mais il s’obligeait. Il devait certainement aussi trouver inutile cette autre obligation de vieillir, mais là on l’obligeait. La vie certainement l’obligeait qui devait bien se rendre utile et mémorable de temps en temps. Le plus jeune et plus petit au contraire trouvait bien nécessaire et savoureux le plaisir de manger, mangeait dès qu’il le pouvait et trouvait à pouvoir dès qu’il ne mangeait pas. Du reste il portait toujours avec lui, plutôt vers le bas et légèrement au-dessus de la ceinture, qui la couvrait, une jolie panse, comme ça, exactement et savamment arrondie par la nourriture au fil des ans et de l’expérience, qu’il avait moyenne, du bon vin peut-être, qu’il avait meilleure et de la cochonnaille sans doute, qu’il avait immense. Le cochon est le meilleur ami de l’homme, et de la femme aussi, et des enfants aussi, et des grands-parents aussi, et la nourriture sait donner des formes aux gens. Elle est gentille et il s’appelait Sancho Lapanse, de l’espagnol panza il était espagnol mais s’il avait été russe il se serait appelé Sancho Migueldecervantovitch Lapanzof, de l’espagnol panza. Il aurait dansé les jambes pliées et les bras croisés en écoutant de la mandoline, en forme de triangle ou de balalaïka s’il est d’accord, et aurait patinaglacé tout l’hiver comme d’autres auraient chanté tout l’été. Il pouvait bien danser maintenant.
Le plus grand, pour simplifier les choses, portait un seul habit de la tête au pied, en plusieurs bouts bien sûr qu’il ajustait et en métal. Comme l’un des bouts d’habit s’appelait cuissard, car les habits s’appellent aussi, et qu’en Espagne un cuissard se disait quixote, pour ne pas contredire l’histoire du pays, que les Maures avaient déjà contredite une fois pendant sept-cents ans, il avait pris pour nom Don Quichotte, prononcé Don Quichotte même en Espagne à l’époque où il vivait et prononcé différemment aujourd’hui mais il ne vit plus. C’était une armure pour les cuisses qu’il avait étirée un peu vers le bas pour couvrir le pied jusqu’au bout du gros orteil entièrement, appelé ici pouce mais c’était en espagnol ; cela donnait pulgar, et en Iran ils disaient aussi pouce, mais en farsi, prononcé angoshte shast et c’était plus commode ; le farsi étant la deuxième langue du pays avec le persan, qui est la même langue. Les deux langues disent en effet tout de la même façon ; elles sont jumelles. Quand l’un parlait en persan et que l’autre répondait en farsi, ils se comprenaient. L’un savait qu’il parlait farsi, l’autre était bien conscient qu’il parlait persan. En France si l’un parlait en français et que l’autre répondait en français, ils pouvaient quelquefois ne pas se comprendre. En Angleterre non plus.
Il avait en plus de ce nom, augmenté son prénom de l’ajoutatif de la Manche, en prenant bien soin de mettre une majuscule à Manche, pour qu’il y ait un équilibre parmi les lettres hautes, réparties à intervalles réguliers le long de Don Quichotte de la Manche. Il avait probablement une raison personnelle de s’être ainsi nommé ; la manche étant ce petit bout de tissu que l’on retourne au moment de passer à une action ; faire la vaisselle, se battre contre des géants, construire un château. En Espagne des châteaux se construisent. En France aussi. Des actions se passent. Il passait souvent à l’action.
Don Quichotte et Sancho allaient comme on sait toujours ensemble, l’un, plus souvent avec l’autre que l’autre avec l’un, depuis leur rencontre, le jour où monsieur Hidalgo avait décidé de partir en voyage et de s’appeler Don Quichotte parce qu’il allait devenir un personnage célèbre, et que Sancho Lapanse, de l’espagnol panza était un joli nom pour l’accompagner le long des sentiers noueux. Des sentiers sont noueux, à cause du vent peut-être qui les tord.
À vrai dire ; car il y a beaucoup de choses que se disent moins vraiment, et qu’il ne faut pas toujours prêter la croyance à ce qu’elles disent, Don Quichotte avait rencontré Sancho après quelques semaines, car ils ne s’étaient pas rencontrés le même jour Don Quichotte était parti seul en voyage, Sancho ne sachant pas qu’il devait partir avec, il l’avait accompagné à la deuxième sortie de Don Quichotte. Sa première sortie avait duré quelques jours, après lesquels il avait compris que partir seul dans le monde pouvait aussi bien se faire à deux. Il avait donc entre-temps demandé à Sancho de bien vouloir le suivre, ou l’accompagner, ou être avec lui quand il serait quelque part, car il allait être quelque part à vrai dire partout ; une part après l’autre et le monde étant un peu grand pour y être complètement seul, et tout seul ; il n’était plus complètement seul, et tout seul. Il l’était moins et souvent pas.
Chacun était parti sur une belle monture ; un cheval pour Don Quichotte et qui s’appelait Rossinante, de l’espagnol panza, et Sancho montait un baudet, mais qui n’avait pas de nom, de l’espagnol aussi panza. C’était une belle rencontre. L’un allait si bien à l’autre, même un peu en retard, puisque le baudet de Sancho n’était pas aussi rapide que le beau rosse de Don Quichotte. Il était cependant difficile de voir l’un loin de l’autre, de savoir l’un sans l’autre, de concevoir l’un et pas l’autre. Personne n’imaginait Sancho sans Don Quichotte et personne ne croyait non plus que Sancho puisse aller avec Hamlet, par exemple, ou Barbe Bleue, par autre exemple, ou enfin les frères Karamazov, par ultime exemple, bien qu’étant trois ils auraient pu être quatre, car, comme on dit s’il y en a pour trois il y en a aussi pour quatre. Mais c’est ce qu’on dit. Il faut voir.
Des idées ne s’associent pas toujours mais avec Gargantua ils pouvaient être allés ensemble car ils avaient au moins l’appétit en commun, qui à chacun vient en mangeant, alors que la soif s’en va en buvant pensait-il, disait-il, écrivait-il. Lorsqu’il y a des points communs c’est une chose agréable. Ça fait des choses à se dire, ou à penser, ou à ne pas se dire puisqu’elles sont déjà en commun et que chacun sait qu’elles sont, mais ça fait des choses en tout cas et Don Quichotte et Sancho avaient ensemble des choses en commun. Des gens ont parfois en commun des choses mais pas ensemble ça arrive.
Don Quichotte et Sancho avaient en commun d’être tous deux des hommes ; un homme par personne bien sûr. Ils allaient tous deux sur une monture ; un cheval pour Don Quichotte et qui s’appelait Rossinante etc. et ils étaient du même pays, dans le pays de la même région et dans la région de la même ville. La ville avait une seule rue c’était plus simple, elle était petite, ça suffisait pour qu’il n’y en ait qu’une. De plus ils avaient tous deux le même ciel en commun. C’est un lieu commun bien sûr. Ils n’étaient pas obligés de regarder chacun le même coin du ciel, ou le coin du même ciel. Don Quichotte était plus grand il n’aurait pas vu la même chose que Sancho étant plus petit, et puis leurs yeux étant chacun par deux dans leur propre tête ; cela suffisait pour faire la différence. Ils parlaient en plus la même langue, une langue espagnole mais elle était peut-être un peu plus d’avant pour Don Quichotte qui parlait un espagnol du temps des chevaliers, quand des chevaliers se réunissaient autour d’une table, ronde, pour mieux se voir, sans casque, pour mieux écouter, et sans armure, pour mieux courir au besoin du ventre. Sancho parlait un espagnol du temps de son enfance, un joli espagnol paraissait-il avec de belles consonnes et des voyelles à ravir. Don Quichotte comprenait son espagnol autrement ou parfois pas du tout. Quand l’un parlait de moulin, comme cela peut arriver quand l’un voit des moulins, l’autre parlait de géants, comme cela arrive quand l’autre croit voir des géants, et probablement que la prononciation n’était pas ou plus la même. De l’un à l’autre les mots se confondaient, ou peut-être que les moulins eux-mêmes ne savaient plus très bien s’ils étaient moulins ou géants. Même les choses parfois ne savent plus où elles en sont ni qui elles sont quand les noms changent ou si quand l’on s’en mêle. Fin de maintenant et c’est mieux comme ça.
Début d’un peu court
Au bord assez lointain d’une autre piscine elle-même un peu lointaine, et du bord de trois chèvres, avec de jolies oreilles, une jeune femme attendait, rien… à vrai dire… mais elle devait attendre pour que des choses soient plus authentiques dans l’image qu’en avait Don Quichotte, accompagné par Sancho Lapanse, de l’espagnol panza comme on sait déjà, mais on ne sait jamais. C’était une femme un petit peu élégante, car elle était bergère elle ne voulait pas que les chèvres soupçonnent une tricherie ou soient désarçonnées par trop d’élégance. Des chèvres sont sensibles. C’était une chose tout à fait possible et non inimaginable. Elle vivait dans un château, un très haut château d’une seule pièce comme c’était plus simple pour s’y déplacer et pas très grand pour ne pas s’y perdre. Des gens parfois se perdent chez eux et elle s’appelait Aldonza Lorenzo, et pour l’adoucir un peu elle s’appelait Dulcinée sur les terres de Don Quichotte, parce qu’en espagnol le mot dulce se dit « doux » en français et qu’en japonais ils disent 和やか, prononcé nagoyaka. Ils étaient en Espagne et c’était alors plus simple de choisir Dulcinée. Et puisqu’elle était née à Toboso, pour ne pas la confondre avec d’autres douceurs du pays, elle s’appelait Dulcinée du Toboso, sûrement du français toboggan, de l’anglais toboggan, du français de l’Acadie tabaganne, attesté en 1691 ; longtemps après le passage de Dulcinée, mais c’est un peu étonnant à vrai dire. Dans l’histoire des choses ne sont pas historiques. En 1691, au moins d’août, la deuxième guerre austro-turque a lieu. Le 5 octobre meurt Paul Mignard, peintre français, sans qu’il n’y ait de lien avec la guerre bien sûr, et cette même année, peut-être avant, meurt aussi Gao Cen, peintre chinois. Personne ne sait quel jour, lui non plus. Dulcinée était une dame à laquelle Don Quichotte pensait beaucoup, en bon gentilhomme qui pensait qu’un chevalier errant sans amour avait les allures d’un arbre sans feuilles et sans fruits. Bien sûr en hiver un arbre n’a ni fruits ni feuilles ; c’est ainsi qu’il aime être, mais en été un arbre a des feuilles, et des fruits s’il est doué pour ça. Don Quichotte ne voyageait que l’été, pour ne pas contredire la nature et les croyances, afin d’être toujours sur le chemin quand les arbres ont des feuilles, et des fruits pour les plus doués, ou talentueux si l’on préfère. Des gens n’aiment pas les répétitions dans les textes, et Don Quichotte voyageait peut-être aussi entre l’été et l’automne ou ailleurs, il faut vérifier. Don Quichotte était très amoureux de Dulcinée qu’il n’avait jamais rencontrée. À cette époque des gens tombaient amoureux sans savoir de qui ils tombaient amoureux. Les gens aimaient les surprises. Heureusement aujourd’hui avec la modernité ce n’est plus comme ça. Des gens aiment aussi les surprises ; ils tombent amoureux en sachant de qui d’autres ils ne tomberont pas amoureux. Bien sûr tout arrive ouh là là ! Quant à Sancho, il était déjà marié ; il n’y a plus grand donc chose à dire à son sujet. Il et tard. Salut !
Au bord tout pluvieux d’une piscine, où des gouttes tombaient partout et l’eau de la piscine déjà mouillée de toute façon, un jeune homme contemplait. Il rêvait au moment même de la contemplation et son regard était aussi grand que ses yeux. Ses yeux savaient en réalité à peu près tout sur son regard mais son regard avait tendance à déborder d’un peu partout et se promener avec son esprit qui l’accompagnait, comme il y a toujours de tout à fait beaux sentiers à y parcourir, surtout quand dans le regard il n’y a pas trop d’embûches, ou d’embrouilles c’est un mot qu’on peut dire aussi dans ce cas. On dit aussi dans d’autres cas que des gens font des embrouilles mais c’est bien sûr un autre cas. Des embrouilles se font quand on raconte des histoires aussi, ou quand on fait du cinéma. Des gens font du cinéma, c’est encore un cas différent, qui fait bande à part comme on dit. Il y a beaucoup de cas et son esprit se mêlait à sa pensée tout à fait correctement. Ensemble ils se comprenaient et le jeune homme était pendant tout ce temps assis. Disons plus simplement qu’il était un peu rêveur et qu’étant rêveur il rêvait. Son regard, comme des gens écrivent des fois dans des poèmes de jolies circonstances, effleurait des choses, comme ça, très légèrement, ffffff…, parfois faisait une petite pause de rien du tout, sur une fleur, une flaque ou un flocon, en hiver le flocon bien entendu comme c’était plutôt l’été il devait voir le flocon seulement dans sa tête. Dans la tête on peut y voir beaucoup de choses si tout y est bien éclairé et dégagé… Dégagé c’est surtout pour le ciel qu’on dit ça, mais comme la tête et le ciel sont tous les deux en haut alors tout va bien.
Après donc une petite pause son regard recommençait à effleurer, ffffff… sur une chose, puis une autre, par petites touches, pas comme un peintre vous comprenez, mais comme quelqu’un qui contemple, comme un peu tout le monde sait faire quand personne ne fait rien sauf contempler. Fffff… bien sûr la majuscule ne s’entendait pas si ça effleurait entre deux feuilles. Ça faisait aussi hououhouou ; avec un « h » très très peu aspiré, pour ne pas égratigner la pierre ou chiffonner les arbres. Il faut ajouter enfin que parfois les pierres roulent et que le regard contemplant peut rouler avec. Les pierres n’amassent alors pas la mousse comme on dit. Le regard non plus. De la mousse sur du regard serait en effet un peu étrange, sauf en poésie pourquoi pas.
Évidemment le regard en se baladant n’entrait pas dans la pierre ou le bois ou les feuilles des arbres autour ; il passait par là simplement, puisqu’il avait de la place pour, même si comme il avait la tête ailleurs le jeune homme ne regardait ni ne voyait pas tout à fait grand chose. Il se rappelait un autre jour quand il ne pleuvait pas c’était beau. C’était beau aussi quand il pleuvait avec les gouttes qui descendaient le long de l’air mais ce n’était pas le même beau. Il regardait ce jour-là plutôt sans eau, et il s’était passé des choses horribles, et peut-être que pour cela il ne pouvait voir un autre jour.
Ce jour il n’avait pas plu c’était même le jour d’avant ou encore d’avant. Un homme passait, une femme passait, un cheval passait. Tous bien rangés sur le chemin la femme sur le cheval le chemin sous chacun d’eux, qui les conduisait là où ils ne savaient pas comme c’est lui le chemin qui conduisait. Le cheval était galant, et l’homme allait à côté du cheval, qui savourait sa galanterie. Le vent passait, le soleil passait, à côté pour éviter les embrouilles avec le vent ça arrive.
Et le regard du jeune homme assis était un peu partout par là, revoyant homme femme et cheval. Comme un regard un peu perdu peut-être, dans le souvenir qu’une chose s’était passée ce jour sans pluie et que c’était une chose assez bizarre, qui avait poussé son esprit à descendre au niveau de la parole, pour voir si ces choses dites ou qu’il allait dire seraient les mêmes que dans la tête, dès fois que la parole exagère un peu.
Il fallait bien qu’il dise tout ça à quelqu’un et par hasard, comme il voulait parler pas trop loin un autre jeune homme était, assez proche pour pouvoir entendre et il entendait tout à fait bien, plutôt proprement il avait une ouïe fidèle au voisinage, et qui recevait tout bien comme ça arrivait dans l’oreille, sans transformer ni désordonner les mots. Des ouïes sont fidèles et ne racontent pas d’histoires comme on dit, même si ce sont des histoires après tout, dites parce qu’elles sont vraies ou pour qu’elles le soient dans l’oreille de certains ou tous. Des oreilles se remplissent toujours de plein de choses ou des yeux s’imbibent de la même façon, et la mémoire s’en occupe ensuite. Elle est gentille. La parole alors répète ces choses un peu parfois accompagnées de la pensée qui s’en mêle aussi. Il arrive que la pensée se mêle de beaucoup de choses mais revenons à nos moutons.
À vrai dire il n’y a pas de moutons dans cette histoire mais, des gens, avec de bonnes intentions sans doute, disent comme ça quand ils veulent revenir un peu derrière dans l’histoire. Ils ont probablement une bonne raison de le faire, et de dire surtout, parce qu’ils disent ici, sinon ils ne diraient pas cela. Des gens ont toujours de bonnes raisons. Et puis des gens disent parfois comme ils peuvent. C’est l’importance.
Le premier jeune homme qui avait commencé à parler tout en contemplant parlait tout en contemplant, mais très peu tout au début, comme l’en avait autorisé l’émotion sûrement. Le verbe « autoriser » est ici peut-être un peu fort, pas fortiche mais fort, exagéré. Disons que l’émotion avait peut-être retenu la parole et l’avait empêchée de se développer trop. Il avait alors dit : « Comme c’est ! », en appuyant sur le « c » de « c’est » et sans trop aller trop vite. Il y a des précautions possibles avec la parole mais il disait toutefois les choses assez clairement et avec une belle diction, en retrouvant ces choses dans sa tête qui étaient horribles on sait, comme il s’en souvenait et probablement comme elles avaient été. Mais ce qui s’était passé était déjà passé. Ça pouvait bien avoir changé entretemps. Le passé n’est jamais trop sûr.
Pendant qu’il disait il était assis sur une marche peut-être mais en tout cas un morceau de pierre, les joues parfois en forme de main, quand sa tête se fatiguait et que ses mains prenaient le relai, en imitant ses joues, depuis quelques minutes déjà que l’eau tombait et à côté l’autre jeune homme qui était prêtre écoutait. Le premier jeune homme préférait ne pas être prêtre, pour aucune raison particulière mais comme l’un l’était déjà il était donc bûcheron pourquoi pas. Il fallait bien qu’il soit. C’était un métier en augmentation près des forêts et ensemble ils étaient assis.
Ils se parlaient et assez proches ils s’entendaient bien. Leur caractère était bon. En vrai l’un s’était assis après l’autre mais comme ils étaient maintenant tous deux bien assis ça n’avait plus trop d’importance, même aucune pas du tout. Chacun avait pris place dans un ordre quelconque tout à fait correctement et sans se concerter, à gauche près de quelques pierres d’une porte qui était tombée, de vieillesse certainement. Des portes tombent de vieillesse et celle-ci était en pierre et en bois et très haute, comme ça, même un peu plus haute en fait et la moitié était par terre ; pile la moitié. Il pleuvait dessus. Il pleuvait autour aussi et dans les petites flaques des gouttes rebondissaient. Bien sûr elles rebondissaient si l’on regardait de près. De près des détails sont toujours différents et parfois même ils apparaissent tout court. Comme ils apparaissaient aussi tout court dans la tête du bûcheron pendant qu’il pleuvait et du prêtre qui était à côté. Ils pouvaient bien laisser le temps aux détails de venir dans leur tête après tout il n’y avait pas d’urgence. C’était beau. Ça faisait ploc ploc pendant qu’ils étaient assis, mais très vite, comme beaucoup de gouttes tombaient en même temps et qu’elles étaient parties toutes en même temps du nuage. À côté le bûcheron n’était pas sous l’eau, il était sous quelques pierres qui avaient résisté à la chute, et qui continuaient à résister bien heureusement. Oh ! ce n’est pas qu’elles étaient heureuses de résister et peut-être qu’en effet elles étaient heureuses de résister, mais c’était heureux qu’elles résistaient. Et puis sinon le bûcheron se serait déplacé au bon moment de toutes façons, pour éviter la pierre tombante, qui aurait fini par être une pierre tombale mince alors.
Sous les pierres, ou c’était peut-être du bois, il parlait plutôt, ou racontait, en disant des choses un peu horribles quand même il faut dire et comme on sait déjà je crois. Comme il disait assez calmement et sans hystérie particulière, ça adoucissait et le prêtre écoutait alors assez calmement et sans hystérie particulière. Il avait vu ces choses un petit peu horribles sans doute et il avait le regard qui s’était arrêté sur l’une de ces choses qu’il avait en tête mais que l’on ne voyait pas, mais ce n’était pas très important puisque ce qu’il disait non plus on ne le voyait pas. Quand les gens disent ils disent seulement. Pour voir ce qu’ils disent il faut qu’une image accompagne la parole. Ça arrive. Il suffit par exemple de regarder des gens qui passent dans la rue et en même temps de raconter une histoire, assis en terrasse ou ailleurs. Ailleurs c’est parfois mieux. Ou quand nos yeux regardent dans la tête les images qui s’y trouvent. De préférence de belles images, même si la chose est horrible. Il vaut mieux la montrer belle, sinon les gens se méfient. Des gens n’aiment pas se méfier ; ils pourraient penser que quelque chose ne tourne pas rond. Les gens voient bien comme les choses tournent en général. La Terre tourne pas rond. Après tout on ne la voit pas tourner, depuis notre canapé, ou tabouret aussi c’est possible. La Lune tourne rond, comme on le voit bien depuis notre canapé, ou tabouret aussi c’est possible.
Le bûcheron racontait ce qu’il avait vu et l’expression de son visage nous disait assez que tout ne tournait pas rond. L’expression de son visage nous disait assez que tout ne semblait pas vraiment rose. Ça c’est des façons de dire il y en a beaucoup et bien qu’étant bûcheron il ne bûcheronnait pas, il regardait dans la pluie qui était bien trop forte des choses horribles comme on sait. Bien sûr la pluie n’est pas trop forte parce qu’elle est musclée mais on dit comme ça même en dehors de la poésie c’est possible. Peut-être que dans la vie de tous les jours, et toutes les nuits aussi on dit des choses un tout petit peu comme en poésie sans se rendre compte, ou sans savoir, quand la pluie tombe par millier et sans miséricorde.
Le prêtre à côté regardait ; il voulait aussi lui peut-être dire des choses et il allait pouvoir les dire, mais de l’autre côté aussi pluvieux de la piscine où l’eau tombait, plutôt bien et pleine d’assurance, un troisième jeune homme s’occupait, sans urgence et il regardait tout plein d’attention ce qu’il faisait, et en regardant et avec tout ce plein d’attention il taillait du bois ou rangeait des pierres, ou peut-être même alternait l’un et l’autre. Enfin il faisait quelque chose et pendant ce temps il écoutait que le prêtre s’était aussi lui mis à dire des choses même un petit peu horribles au bûcheron. Il disait certainement des choses assez sûres d’elles et qui ne mentaient pas. Un prêtre ça fait des choses comme ça. Et puis comme il avait parlé après le bûcheron, il fallait bien qu’il dise des choses différentes pour ne pas dire la même chose, sinon à quoi ça servait à rien de parler si c’était pour répéter l’autre. Il valait peut-être mieux que la version du bûcheron soit suspicieuse, pour que celle du prêtre ne le soit pas, et s’en ainsi distingue. Enfin, chacun savait ce qu’il disait, même le bûcheron après tout.
Des choses horribles arrivent parfois, quand dans une forêt il y a un bandit, ou un loup, et le bûcheron, qui contemplait il y a encore cinq minutes, et qui maintenant entendait ces choses, comprenait bien qu’elles n’avaient pas les mêmes allures horribles que ce qu’il en savait. Peut-être plus ou moins mais une allure n’est jamais la même de l’un à l’autre. Voilà presque !
Il faut dire enfin que quelque temps avant mais c’était hier, et pas trop loin d’ici une femme passait, un cheval passait, un homme passait. Pour plus de commodité le cheval s’était mis sous la femme, il était galant probablement, et la femme ainsi pouvait cueillir les pommes comme on fait quand il y a des pommes à portée de main. Il n’y avait pas de pommes, et l’homme marchait à côté du cheval, qui n’allait alors pas trop vite, comme il comprenait bien qu’un homme ne peut pas suivre un cheval en vitesse. Le cheval était compréhensif sûrement.
Deuxième partie beaucoup plus rapide quand même
Au bord encore pluvieux de la piscine, l’eau déjà bien mouillée depuis le temps qui n’était pas propice aux coquelicots, qui pouvaient pousser mais avec le vent ils risquaient d’être froissés, les trois jeunes hommes étaient bien installés et chacun parlait à son tour, comme c’était comme ça qu’ils devaient faire puisque dans les films c’est comme ça que les gens font. Ils faisaient bien. Ils n’étaient, peut-être pour l’occasion, pas tellement vêtus. C’était l’été et comme c’était il y a longtemps ils n’avaient peut-être pas encore inventé le costume, le pantalon sûrement pas plus et ni la chemise à boutons, la fermeture éclair de toutes façons pas encore et ils n’avaient pas grand chose inventé. Ce qu’ils avaient inventé leur allait plutôt bien, et cela devait suffire. L’un portait une tunique remarquable, un ceinturon commifaut et des chausses aux pieds tout à fait commifalles, un autre une tunique remarquable, un ceinturon commifaut et des chausses aux pieds tout à fait commifalles à lacets, et le troisième portait une tunique remarquable, un ceinturon commifaut et des chausses aux pieds tout à fait commifalles à lacets plus grands.
L’histoire un peu horrible de laquelle ils parlaient était peut-être un peu trop horrible pour que l’on puisse en parler ici. Il s’agissait d’un homme et d’une femme et c’est peut-être pour certains déjà une chose horrible de dire ça. Il y avait en plus, de temps en temps beaucoup de monde dans cette affaire. Un homme passait, une femme passait, un cheval passait, la femme tout en haut du cheval, pour voir plus loin. Il y avait aussi un peu après un bandit, qui s’appelait Tajomaru il était japonais ça lui plaisait plutôt et qui parfois sommeillait délicatement bien sûr en attendant que le vent le réveille, ou un bruit de cheval marchant sur des feuilles qui craquent, pour bien nous montrer qu’elles sont des feuilles séchées et qu’un automne était passé par là même si c’était l’été maintenant. Lui aussi disait des choses de temps en temps pas non plus très drôles, et peut-être qu’en plus il avait volé ces choses. C’est ce que les bandits font souvent. C’est leur métier après tout. Bien sûr un bandit est capable de tout, même de dire la vérité. Il avait dit, c’est ce que l’on sait. Quant à ce qu’il avait dit, c’est ce que l’on ne sait pas vraiment.
Un peu plus tard il y avait une sorcière. Elle s’appelait Miko, mais en réalité elle s’appelait Noriko Honma elle était aussi japonaise, et, grâce à elle, et plutôt au-dessus d’elle, quelque part dans les airs il y avait un fantôme. Bien sûr il arrive que des fantômes soient. La sorcière était précisément là pour communiquer avec lui mais comme elle était sorcière ce qu’elle disait était peut-être ensorcelé c’est possible. Il valait mieux avoir des oreilles attentives. Par ailleurs le fantôme, tout comme le prêtre et le bûcheron, racontait des choses pas tout à fait agréables à écouter. Mais toutefois tous racontaient qu’un homme était mort, et le mort était fantôme ; c’est ce qui était sûr.
Le prêtre, quant à lui, s’appelait d’une façon. Le bûcheron avait son nom et l’on voyait bien qu’il était bûcheron pour que l’on sache de qui l’on parle, ou de qui l’on ne parle pas, tout comme chacun ici.
Pour finir, des gens, mieux au courant peut-être appelaient le bûcheron Takashi Shimura, et d’autres ou les mêmes et tout aussi au courant appelaient le bandit Toshirō Mifune c’est comme ils voulaient après tout. Rashōmon.
Les contes sont publiés dans un recueil, qui comprend :
imprimé à 100 exemplaires, numérotés, aux éditions Clément Courrèges, en vente à 20 €.
Disponible à la boutique de la Savonnerie de la Principauté à Senones, ou sur commande.